5/4/24

Une nouvelle mythologie humaine est-elle possible (5/5)

Séance 5/ Une nouvelle mythologie humaine est-elle possible à l’ère de la technoscience déreconstructive ?
- Le progrès scientifique est source d’un nouveau récit / mise en scène (un nouvelle façon pour l’homme de se raconter, et de raconter le sens de sa « puissance »), mais c’est aussi la cause pour l’homme d’une série de ruptures narratives (marquées au sceau de la réalisation tragique de son « impuissance »), ce que Freud appelle les « blessures narcissiques ». Blessure cosmologique : l’homme « connaît » l’univers (puissance), mais il réalise alors qu’il n’est plus au centre de l’univers (impuissance) ; Blessure biologique : l’homme « connaît » le vivant (puissance), mais il réalise alors qu’il n’est qu’un animal particulier (impuissance) ; Blessure psychanalytique : l’homme « connaît » l’existence de l’inconscient (puissance), mais il réalise alors qu’il n’est pas même maître de sa propre conscience (impuissance).
- Le désir d’être n’est plus seulement attaqué aujourd’hui en amont de la narration humaine par la théorie de l’évolution (au plan des cosmogonies : histoire des origines) mais en aval (au plan eschatologique : espérance de continuité collective, continuité de l’espèce malgré la disparition des individus) contrairement même à la vue pourtant dite pessimiste de Schopenhauer, par exemple, pour qui la mortalité individuelle se résorbe (quand même) collectivement dans l’immortalité de l’espèce.
- A la blessure de l’origine s’ajoute donc la blessure de la fin (finalité / terminaison) de l’homme, car, comme toutes les espèces, l’homme devrait s’éteindre (évolution même de son substrat environnemental avec ou sans son action : disparition à terme de la Terre). Cf discussion critique sur « Le hasard et la nécessité » de Jacques Monod, sur la destruction inévitable à terme de l’existence de toute vie, revenant à la disparition pleine et complète de l’homme (sans le moindre reste de mémoire, donc équivalent à la disparition de l’Etre, de toute signification). Les réactions anti-technologiques (dans les trois registres théologique, naturaliste et humaniste) comme les réactions technophiles (la nébuleuse transhumaniste) sont des narrations / mises en scène alimentées par cette nouvelle crise narcissique que traverse l’humanité. Cf. le développement d’un nouveau type de catastrophisme au cinéma, dans les fictions, presque toujours à base de technoscience (Jean-Pierre Dupuy a d’ailleurs bien montré comment fonctionne quasi-religieusement ce catastrophisme) ; et dans le
même temps d’un nouveau type de mise en scène du salut individuel et universel, de rédemption (rachat d’un sens) par cette même technoscience.
- La convergence technoscientifique dé-re-constructive est, par ailleurs, la source d’une nouvelle blessure narcissique (l’homme pourrait n’être qu’une machine), qui se traduit par une nouvelle phase de narcissisme productif (l’homme, s’il n’est qu’une machine, peut dès lors s’améliorer, se perpétuer, et vaincre la malédiction biologique de l’extinction). La crise de « conscience », qui prend sa source dans l’angoisse de la fin de l’espèce, oscille ainsi entre les visions cauchemardesques de la provocation par l’homme de sa propre extinction et le rêve de se conférer une fois pour toute l’éternité.
- Donc double crise narcissique en forme d’alternative / dilemme : soit l’homme est, et reste, un animal comme les autres, et dans ce cas il va sans équivoque disparaître (blessure de la terminaison) ; soit il se fait machine, pour conjurer sa terminaison, mais en se rabaissant à ses propre yeux au statut d’objet (blessure de la finalité... même s’il n’y a peut- être plus de terminaison).
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